Elle avait des mains d'artiste ; de longs doigts tachés d'encre, indécis…

Elle était belle. Les cheveux blonds, le teint frais, les yeux clairs, bordés de noir ; les lèvres pales.

Un peut penchée sur sa table, un coude devant elle, elle sirotait une menthe a l'eau, les yeux perdus a travers la baie vitrée du café-bar ‘'L'Ondine''…

 Elle devait avoir une vingtaine d'années et moi dix-sept, je suis tombé amoureux d'elle et malgrés moi á six heures du matin, rue du maréchal.

Hypnotisé, j'ai senti mes doigts pousser la porte du café, j'ai monté les trois marches de l'entrée, et me suis assis sur une des chaises hautes du comptoir, m'entendant commander un expresso, puis me laissai absorber par une profonde focalisation sur l'objet de mon désir.

Je suis resté assis là, un temps indéfinissable, rien qu'a la regarder, tournant le dos au comptoir… Je la regardais boire son sirop de menthe dés six heures, sans que cela me choque. Je trouvais ça normal qu'une fille comme elle boive une menthe à l'eau á cette heure ci, rien d'autre n'aurait pu lui aller aussi bien, ça la rendait superbe. Parfois elle regardait sa montre, ou bien elle commençait à tracer des étoiles imaginaires sur le verre de la table du bout du doigt ; elle était fascinante.

Puis elle s'est levée.

D'abord je n'ai pas compris, je continuais à la regarder, m'extasiant sur son corps si gracieux, sur la façon dont elle marchait... Elle laissait sa main frôler le bord des siéges  

Puis je l'ai vue se diriger vers la porte… et d'un geste impulsif je sautai de mon siége et lui empoignai le bras.

Elle se retourne, me souris… ''Esther, et vous ?''

Fracassé, poignardé par son regard, sans rien comprendre de ce qui se passait, je la regardais avec des yeux ronds ; elle n'avais même pas l'air surprise, ni choquée, elle m'avais simplement souris, parlé… Confus, je bafouillai quelques paroles inintelligibles, espérant qu'elle ne me trouve pas plus crétin que je n'en avais déjà l'air, mais elle ne s'en offusqua pas et me reposait la question : ''Comment vous appelez vous ?''

J'étais sidéré. Je ne lui répondis pas tout de suite.

Nous avons parlé au moins trois heures, le temps passe si vite ; j'ai appris qu'elle était venue ici pour un rendez-vous, apparemment manqué, je jubilais intérieurement, elle, elle riait, elle m'écoutait, me racontait sa vie : elle avait vingt deux ans, habitait un appartement en centre ville, proche d'une école d'architecture ou elle finissait ses études…

Vers 9h00 nous nous sommes séparés, partant chacun de notre coté, numéros de téléphones en poche.
Pendant les mois qui suivirent, nous nous revîmes presque chaque semaine, puis chaque soirs, nous nous retrouvions a  ‘'L'Ondine'' pour parler de tout et de rien, je me sentais de plus en plus proche d'elle, je lui racontais comment se passaient mes journées, elle les siennes, on se regardait…

Comme souvent elle l'avait déjà fait, un jour elle m'a embrassé. Nous tenants par la main, le nez vers les nuages, nous sommes allés marcher dans la rue : une voiture me percute sur un passage piéton.

Puis tout se passa très vite, je mourrai sur la route avec pour dernière vision ma dulcinée en pleurs.

Et  je n'existai plus.